Jean-Pierre, le fils du docteur, s’était réjoui depuis longtemps pour la rentrée des classes après les vacances de Noël. Il aimait pourtant bien les vacances, surtout en hiver, quand il y a de la neige et qu’on peut faire du ski ou aller en luge. Ce premier jour de classe avait son importance, car chaque premier communiant devait tirer au sort son compagnon de première communion.
Jean-Pierre, à ce sujet, a un désir secret : « Si seulement le sort tombe sur Albert Clément. C’est le fils d’un riche fabricant, il a de si beaux jouets. Nous irions très bien ensemble : moi, le fils du docteur, et Albert, toujours si bien habillé ».
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Le Bon Dieu connaissait ce désir secret, puisqu’il sait tout ! Et pourtant — il ne l’a pas exaucé, car ce désir n’était pas tout à fait bon.
Ainsi, quand on eut fini de tirer au sort, ce n’était pas Albert qui se trouvait à côté de Jean-Pierre, mais le petit Charles, le plus pauvre de tous les garçons de la classe. Jean-Pierre, très déçu, le regardait à peine, d’un œil méchant.
Pour sûr, le petit Charles était pauvre, mais il n’était pas déguenillé, comme Jean-Pierre l’avait dit. Chaque matin, son visage était propre, ses mains aussi. Ses cheveux étaient peignés aussi bien que possible chez un garçon aux cheveux ébouriffés. Ses habits étaient raccommodés, il est vrai : mais bien qu’Albert racontât en se moquant, qu’une fois il avait compté sept pièces à son pantalon, jamais, malgré son extrême pauvreté, Charles ne venait en classe, les habits déchirés. Qu’en pouvait ce pauvre garçon de n’être pas riche ?… Son père avait été tué lors d’un accident et sa maman devait nourrir ses quatre enfants par son travail de blanchisseuse.
Décidément, Jean-Pierre avait perdu sa bonne humeur pour de bon ! Il n’avait pas le moindre gentil mot pour son nouveau voisin, qui, lui, avait eu tant de joie d’être le compagnon du fils du docteur.
En général Jean-Pierre était un gentil garçon. Non, il n’était pas méchant, le petit Jean-Pierre ; il avait ses défauts, mais aussi ses qualités. Son plus grand défaut était qu’il aimait à jouer au riche et à se rendre important. Sans doute le Bon Dieu, connaissant ce défaut, avait permis que Charles et non pas Albert devint son compagnon de première communion.
Jean-Pierre avait même bon cœur. Si on connaissait son cœur et si on savait en trouver la petite porte, Jean-Pierre pouvait être très aimable.
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Par bonheur, il avait une maman qui savait toujours trouver cette petite porte. Aussi ce jour-là, quand le petit rentra de l’école, méidiottent et maussade, elle n’eut pas de peine à deviner ce qui lui manquait. Le matin même, il avait parlé du tirage au sort et s’était demandé qui serait à côté de lui. Quand Jean-Pierre eut raconté son chagrin, sa maman en fut vraiment soulagée. Mais elle ne laissa rien voir. Elle attendit.
« Jean-Pierre, dit-elle, au petit, le soir, quand, ses devoirs d’école finis, il prit un de ses livres d’histoires, viens, assieds-toi là, je veux te raconter une histoire. C’est une histoire de Noël pour les garçons de ton âge, et surtout pour un premier communiant. Cette histoire se passe au moment où les bergers s’en revenaient de voir l’Enfant-Jésus.
Pendant la nuit de Noël, les enfants des bergers dormaient d’un sommeil si profond qu’ils ne virent pas les anges et qu’ils n’entendirent pas leur chant. Le matin, quand leurs parents racontèrent ce qu’ils avaient vu, ils ouvrirent de grands yeux. Ce petit Enfant Jésus annoncé par les anges, couché dans une crèche, dans une pauvre étable abandonnée, était le Sauveur du monde ! Ce poupon qui pleurait comme les autres bébés, était si beau qu’on se sentait heureux quand on l’avait vu et qu’on ne pouvait plus l’oublier.
Ravis, les enfants voulurent à tout prix voir l’Enfant Jésus : « Maman, papa, supplièrent-ils, laissez-nous aussi aller voir cet enfant. Il est sûrement venu pour tous, grands et petits. »
Et les petits bergers s’en allèrent voir Jésus, lui apportant les cadeaux que les grands n’avaient pas eu le temps de prendre pendant la nuit.
Chacun d’eux portait quelque chose : une miche de pain, une motte de beurre, un pot de lait, un petit agneau, et que sais-je encore. Quand tous furent prêts, une petite fille resta à l’écart, tristement Elle n’avait rien à donner ; elle était trop pauvre, ses parents possédaient à peine le nécessaire.
Pourtant c’était elle qui avait le plus grand désir de voir Jésus. Les autres enfants étant déjà partis, elle essaya de les rejoindre en courant.
Elle y réussit et tous ensemble marchèrent en toute hâte jusqu’à l’étable qu’ils trouvèrent facilement. Ils frappèrent à la porte. Un homme aimable fit entrer les petits visiteurs.
Embarrassés et timides, les enfants restèrent d’abord près de la porte. Mais quand la Maman de Jésus les invita à s’approcher, ils n’eurent plus peur. L’Enfant divin se réveilla en ce moment et regarda tendrement les petits bergers.
Les enfants se pressèrent autour du petit Jésus qui souriait à chacun. Ils se souvinrent tout à coup de leurs cadeaux et les offrirent à la sainte Vierge. Combien elle fut contente ! car elle n’avait rien. Pour chacune des offrandes elle eut un joyeux merci !
A ce moment la petite fille sentit plus que jamais sa pauvreté. Les larmes montèrent à ses yeux parce qu’elle était là, devant l’Enfant Jésus, les mains vides. Alors, elle sut à merveille se tirer d’affaire en disant : « Mon petit Jésus, je t’aime tant, je te donne mon cœur. »
Et voici que l’Enfant Jésus tendit ses mains, comme pour aller chez elle. La Sainte Vierge alors prit son Enfant et le mit dans les bras de la pauvre petite. Quelle joie pour la fillette ! Elle serrait le petit Jésus dans ses bras. Son cœur battait bien fort et disait à chaque battement : « Je t’aime, petit Jésus, je t’aime ! »
Les enfants comprirent que la pauvre fillette avait apporté le plus beau cadeau, le cadeau préféré de Jésus.
Voilà, mon petit Jean-Pierre, l’histoire que je voulais te raconter. As-tu compris ce qu’elle veut dire ? »
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Bien sûr que Jean-Pierre avait fait attention. Il n’avait pas bougé, et en pensée, il était avec les enfants, à la Crèche de Bethléem. Mais il ne paraissait pas comprendre le sens de cette histoire.
« Jean-Pierre, continua la maman, le Bon Dieu a permis qu’un pauvre enfant soit ton compagnon de première communion. Cela te déplaît, n’est-ce pas ? Eh bien, la fillette qui reçut le petit Jésus dans ses bras, n’était-elle pas pauvre ? Même, la plus pauvre de tous ceux qui étaient venus le trouver ? Et Jésus lui-même, n’était-il pas pauvre aussi ? S’il a voulu l’être, c’est justement pour nous montrer que l’essentiel, ce n’est pas les habits qu’on porte, mais le cœur qu’on a.
— Mais, maman, alors, pourquoi le Bon Dieu a-t-il fait les uns riches et les autres pauvres ? Pourquoi ne sommes-nous pas tous pauvres, puisque Jésus aime davantage les pauvres ? »
— Ce ne serait pas bien non plus, mon enfant ! Il n’y aurait alors personne pour faire l’aumône aux pauvres et leur faire plaisir. Et puis, ce n’est pas nécessaire qu’on soit pauvre pour plaire à Jésus. Si les enfants qui étaient riches avaient aussi offert leur cœur à Jésus, il les aurait aimés tout autant. Ou bien, s’ils avaient donné une de leurs offrandes à cette pauvre petite bergère, elle aurait aussi pu en faire cadeau à Jésus. S’il en avait été ainsi, il est possible que Jésus eût voulu aller dans le bras de chacun ?
— Alors, maman, demanda Jean-Pierre, si je suis bien gentil envers le petit Charles, et si je lui donne quelque chose de temps en temps, Jésus m’aimera-t-il aussi, quand il viendra dans mon cœur à la première communion ? »
La maman ne répondit pas à cette question de Jean-Pierre, mais elle le serra bien fort dans ses bras, se réjouissant d’avoir, une fois de plus, trouvé la petite porte du cœur de son enfant. Et Jean-Pierre savait que, lui aussi, avait une clef : la clef du Cœur de Jésus. Il sentait aussi que sa maman était contente de lui.
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Les jours et les semaines passèrent ; les deux camarades du troisième banc s’aimaient de plus en plus. Jean-Pierre n’avait plus honte de Charles ; d’ailleurs, il n’y avait pas de quoi. Charles n’était ni paresseux, ni sot. A l’école, il répondait aussi bien que Jean-Pierre, et même mieux parfois. Et il savait aussi comment il fallait se comporter. Une fois, il avait accompagné Jean-Pierre à la maison et avait été invité à dîner. Il fut si aimable et si correct que la maman de Jean-Pierre en fut charmée. « Je suis heureuse, dit-elle, que vous soyez ensemble. »
Le jour de la première communion approchait. La joie des enfants augmentait de jour en jour. Seul le petit Charles avait l’air tourmenté. Il arrivait même qu’il ne savait pas répondre à l’école, parce que ses pensées étaient ailleurs et qu’il n’avait pas entendu la question.
Pauvre Charles ! Ses souliers de première communion le préoccupaient. Une fois, ne pouvant plus garder son chagrin pour lui, il le confia à Jean-Pierre. Sa maman lui avait fait un habit neuf avec les habits de son père, mais les souliers ? Il ne pouvait pas mettre les souliers de son papa, et sa maman était trop pauvre pour lui en acheter des neufs. Les souliers qu’il portait n’étaient pas convenables pour un dimanche ordinaire, encore moins pour le jour de la première communion.
Tout en l’écoutant, Jean-Pierre regardait les souliers de Charles. En effet, ils étaient bien misérables. Pour courir et sauter, ils pouvaient encore aller, mais les porter le dimanche, et encore le dimanche de la première communion ? Non ! Vraiment, c’était impossible ! Charles avait raison, et Jean-Pierre comprenait très bien son chagrin.
Charles a eu de la chance de se confier à Jean-Pierre. La porte du cœur de Jean-Pierre était toujours ouverte. Elle était même si grande ouverte, qu’il fit pour son ami et pour Jésus un beau et grand sacrifice.
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Le jour de la première communion, Charles, le pauvre garçon, portait de beaux souliers tout neufs. Il ne savait pas lui-même d’où ils venaient. Le facteur avait apporté le paquet. On ne pouvait pas lire le nom de l’expéditeur ; on avait fait exprès de l’écrire si mal. Les souliers neufs dans le paquet étaient pour Charles. On avait écrit sur un billet : Pour un bon premier communiant.
Le jour de la fête, Jean-Pierre, le fils du docteur, porta ses souliers ordinaires du dimanche. Qu’avait-il donc fait de ses souliers neufs ? Avec la permission de ses parents, il les avait donnés secrètement à son ami !
Chose curieuse ! Les souliers neufs aux pieds de Charles réjouissaient son cœur bien plus que s’il les avait portés lui-même !