Il y a eu autrefois une jeune fille qui était servante dans une ferme – on ne sait plus trop où… Cette jeune fille semblait d'ailleurs tellement insignifiante qu'on ne l'appelait jamais que par "o!", "eh, toi !" On avait complètement oublié son nom, et elle-même ne s'en souvenait plus.
Cependant, après sa mort, lorsque cette petite s'est retrouvée au paradis, quelle n'a pas été sa surprise en constatant qu'on la conduisait tout auprès des plus grands saints du ciel ! Oui, car aussi discrète et peu remarquable qu'ait été sa vie, la jeune fille avait vécu de manière telle qu'elle en était arrivée, sans s'en rendre compte – et peut-être même à cause de cela – au plus pur état de sainteté. Et si, comble d'innocence, elle en était surprise et gênée, les autres saints eux étaient très embarrassés. Tous savaient que, ne possédant aucun nom propre, cette nouvelle sainte ne pourrait jamais recevoir de prière particulière, des vœux qui lui soient précisément adressés !
Déjà, les saints les plus généreux lui proposaient de partager les leurs, tandis qu'elle refusait poliment, disant que jusqu'à présent, elle s'en était bien passée et qu'elle pourrait continuer… quand l'arrêt divin est tombé. Le Seigneur a prononcé :
- A la nouvelle sainte sans nom iront toutes les prières sans nom.
Et depuis ce jour, c'est cette petite, dont on ignore tout, qui recueille au ciel le plus de prière. Car c'est vers elle que montent tous les élans de nos cœurs, chaque fois que, sans même en prendre conscience, nous traverse une inclination vers le bien ou un désir confus de rendre le monde meilleur.
Chaque sourire, chaque larme, dit-on, de nos plus pures émotions, est aussitôt recueillie et bénie par la sainte sans nom
Extrait de Contes des sages juifs, chrétiens et musulmans
Jean-Jacques fdido, Seuil (p. 99 à 101)
Revue Prier de novembre 2010